19 octobre 2018

Engager des designers pour innover... Et puis quoi encore ?

La conception de produits ou services n’a rien de nouveau, ils se sont tous bien conçus d’une manière ou d’une autre. Mais le design apporte des résultats fondamentalement différents des méthodes traditionnelles. Le produit ou service “designé” a pour vocation de se calibrer aux problématiques spécifiques des hommes et des femmes qui l’utilisent, et de l’organisation qui le fournit.

par Mathilde Vincent

(illustrations titre par Denis Pellerin)

[Cet article, initialement publié en 2015 sur la plate-forme designdeservices.org, est une seconde édition, revue, corrigée et complétée]

Le temps des robots n’est pas encore arrivé

Nous sommes tous humains et en tant qu’humains nous faisons de chaque moment, chaque interaction une expérience. Pourquoi ? Parce qu’à la différence des robots nous sommes des êtres d’émotions et nous avons tous besoin de ressentir avant de penser. C’est pourquoi les entreprises doivent proposer des produits et services désirables et intuitifs : de belles choses qui ont du sens et que les gens s’approprieront. Comment faire de belles choses qui ont du sens ? En ayant toujours à cœur de placer l’utilisateur – humain jusqu’à preuve du contraire – au centre de la réflexion afin de lui proposer une expérience cohérente, intuitive et désirable. Plus facile à dire qu’à faire, certes.

Une infinité de points de contact

À l’heure où nos produits et services rencontrent les possibilités du digital, les canaux de distribution et d’interaction explosent, littéralement. Les points de contact entre l’utilisateur et l’entreprise sont démultipliés et il ne suffit plus de se poser la question de ce que doit proposer le produit ou le service : il faut étudier comment il peut le faire. Chaque point de contact, chaque canal d’interaction doit être pensé à la lumière de l’écosystème dans lequel il s’inscrit et il faut s’attacher à faire travailler tous ces éléments ensemble, à la perfection. Car ce sont tous ces petits détails qui font la différence et c’est justement là que le design entre en jeu.

En effet le design a cette capacité d’agrégateur, de mise en forme qui fait sens, pour orchestrer des expériences utiles, intuitives et désirables sur tous les canaux possibles et pertinents. Dans ce contexte, il faut avoir une vision systémique. Les produits deviennent intelligents, connectés à l’utilisateur et donc intégrés à un éco-système de plus en plus complexe : l’expérience d’un produit ne s’arrête plus à la simple manipulation de ce dernier. Cet éco-système il faut donc l’imaginer, le concevoir et le réaliser : c’est l’objet de l’innovation par le design de services. C’est un travail de chorégraphe en quelques sortes, où il s’agit d’identifier et faire travailler ensemble tous les acteurs du projet afin d’en assurer la faisabilité, la viabilité et bien sûr la désirabilité. Cette démarche pourra donc être utile pour repenser un produit ou service existant mais aussi pour en imaginer de nouveaux.

Engager des designers pour innover c’est s’assurer de créer une “offre humaine” pour des humains.

La démarche d’innovation par le design de services : Une démarche exploratoire ET opérationnelle

Que nous parlions d’existant ou de prospectif, la démarche d’innovation par le design s’articule en deux grandes phases. La première, de nature exploratoire, consiste à délimiter le territoire d’innovation, identifier les solutions les plus pertinentes pour les utilisateurs comme pour l’entreprise et les conceptualiser de manière concrète. Nous reviendrons sur ce point plus tard. Mais la force de cette approche est aussi de savoir réaliser dans les moindres détails les concepts issus de cette phase exploratoire. C’est alors que débute la phase opérationnelle, nécessitant une somme de talents tant artistiques que techniques, qui englobe la réalisation de tous les éléments du service. Bien sûr tous les projets ne respecteront pas ce parcours théorique : selon les objectifs de l’entreprise la collaboration pourra avoir une dominante exploratoire et s’arrêter à la démonstration de concepts tandis que d’autres commenceront avec un concept déjà bien défini pour simplement le développer ou le déployer.

Il faut expérimenter pour anticiper les freins de développement

Cette démarche, loin d’être linéaire, est itérative par essence et chaque itération est matérialisée par une formalisation concrète, plus ou moins aboutie. Nous en parlions plus haut, cette concrétisation de la réflexion tout au long du processus vise à créer des dispositifs de projection. Prenant la forme de prototypes fonctionnels ou de simples esquisses il s’agit ici de visualiser tout ou partie du produit ou service en cours de conception, de façon à pouvoir se projeter dans son utilisation. L’idée générale est de parler un langage commun : cet objet intermédiaire fournit en effet une base d’échange concrète et interprétable par tous les acteurs du projet. Ainsi l’expérimentation répétée permet de s’assurer que l’on traduit fidèlement la vision initiale du concept, tout en anticipant au maximum les obstacles du développement. Loin de seulement servir à tester un fonctionnement, ces dispositifs permettent bien de stimuler l’idéation, par le biais de propositions “martyrs” par exemple, et donc l’intégration de connaissances nouvelles.

Cette approche globale de la conception appelle donc des personnes capables de jongler avec les expertises. Il leur faut être capables de mener des réflexions exploratoires tout en maîtrisant la dimension opérationnelle sur le bout des doigts, ne serait-ce que pour la fabrication de ces fameux objets intermédiaires. Chaque membre de l’équipe doit pouvoir faire le grand écart entre plusieurs compétences afin d’accorder la vision que l’on a du produit ou du service, à son exécution et vice versa. Seule une équipe capable de cela sera en mesure de développer une démarche de conception intégrée, propre au design et source fondamentale de l’innovation dans ce domaine. Elle permet la rencontre d’expertises, et donc de solutions, à priori très éloignées. Une fois réunies, ces solutions donnent alors des résultats insoupçonnés et de nouvelles pistes à explorer, nourrissant ainsi autant les phases exploratoires qu’opérationnelles des projets sur lesquels ces experts travaillent.

Engager une agence d’innovation par le design de services c’est aussi injecter cet état d’esprit dans votre organisation.

Les 3 piliers d’une bonne collaboration

La vision :

La valeur ajoutée du design réside dans sa capacité à s’affranchir des cadres de pensée du secteur pour lequel il travaille. Il faut accepter que les designers développent avec vous des idées et solutions inimaginables pour justement challenger la réflexion, quand bien même vous ne les concrétiseriez pas telles quelles, de part leur formalisation visuelle elles aideront toujours à traduire vos ambitions en une vision claire et précise de ce que vous souhaitez offrir à vos clients. Ce qui peut être un atout certain pour convaincre au sein même de votre entreprise.

L’ouverture :

L’approche intégrée du design se confronte très souvent au silotage des activités et fonctions au sein de l’entreprise. Il faut que les designers aient une compréhension globale de votre organisation – et donc un accès le plus large possible – afin d’intégrer un maximum de paramètres dans la conception. Une collaboration donnera de meilleurs résultats si elle est engagée de manière globale et non compartimentée entre le service ou produit physique, le site web, l’application mobile, etc.Tout est lié. A la manière d’une chaîne, chaque action a une incidence sur l’écosystème tout entier.

L’engagement :

Travailler avec une agence d’innovation par le design de services c’est accepter de s’engager dans un processus de co-création systémique. Co-création car les meilleures collaborations ont lieu lorsque toutes les parties sont forces de proposition. Mais cela ne signifie pas que tout le monde peut tout faire en même temps : nous parlions de processus systémique, s’il faut bien envisager le service dans son éco-système global, il faut absolument faire bon usage des compétences de chacun à chaque étape de la conception et avant tout les laisser exprimer ces dites-compétences. Un designer ne remplacera pas un ingénieur ou un marketeur, et vice-versa.

Concrètement, comment ça se passe ?

Cela va sans dire : il faut rencontrer plusieurs fois les agences avec lesquelles vous envisagez de travailler. Les projets d’innovation sont rarement l’affaire de deux semaines et la bonne collaboration repose en grande partie sur la bonne entente au sein de l’équipe. Pendant ces rencontres il est important d’essayer de se projeter dans la collaboration avec les personnes assises en face de vous.

De quoi avez vous besoin ?

Quel livrable attendez-vous ? S’agit-il d’un cahier d’idées, d’un prototype, fonctionnel ou non, ou d’un produit commercialisable en l’état ? Se poser ces questions avant de rencontrer vos interlocuteurs est une évidence mais vous n’avez forcément pas à savoir ce que vous voulez dans les moindres détails : le travail des designers est aussi de vous aider à définir votre besoin en identifiant le problème et en proposant les moyens d’y répondre.

Une chose est sûre, tout n’est pas toujours pertinent et le ou les designers avec qui vous discuterez doivent vous exposer les conditions d’application de leurs méthodes. Prendre un bazooka pour tuer une mouche n’est pas forcément toujours nécessaire…

Tout cela doit être discuté à la lumière de la situation de votre projet et/ou de votre entreprise. Avez-vous une trajectoire bien définie ? Votre stratégie est-elle immuable ? Quels sont vos objectifs à court, moyen et long terme, s’ils existent déjà ? Cela aidera grandement votre choix d’agence – ou de freelance. Si vous savez exactement où vous allez et que la seule contrainte est un temps très court de réalisation, vous ne choisirez certainement pas le même type d’agence (grosse ou petite) que si votre trajectoire reste peu déterminée et sujette à modifications, quand bien même les impératifs de délais seraient identiques.

A titre d’exemple chez User Studio nous intervenons tôt, voire très tôt, dans les projets et la plupart de nos clients ont des impératifs de délais du fait d’un environnement concurrentiel fort ou d’une demande élevée et inattendue, ils ne sont pas forcément certains de la trajectoire à prendre et leur stratégie évolue souvent au cours du projet.

Quel sont les modalités d’une collaboration ?

On commencera en général par mettre sur pieds l’équipe du projet. En fonction de la situation il vous faudra alors assez vite décider des personnes à intégrer dans l’équipe, de votre côté de la table. L’idéal étant que dès le début, le décideur final soit identifié. Il se doit d’ailleurs d’être au sein de l’équipe ou bien l’équipe comporte un représentant du décideur qui pourra très rapidement le consulter et témoigner ses enjeux et ses directives. Savoir qui tient la barre est absolument capital pour la réussite de tout projet.

A côté de ça il faut décider des modalités financières. En effet si la plupart du temps les contrats prennent la forme d’un forfait jour/homme il est tout à fait envisageable de concevoir d’autres types d’associations. Royalties, participations, etc. beaucoup de solutions existent ou restent à créer.

Quant au planning, allons droit au but : il n’y a pas de timeline type. Chaque projet est unique et son organisation, notamment temporelle, l’est aussi. Cela étant dit, et selon notre propre expérience, le projet moyen durera entre 3 et 6 mois et s’articulera en plusieurs phases : s’il s’agit d’un projet à caractère exploratoire nous commencerions par des réunions de cadrage. Puis vient la phase d’inspiration et d’observation pour permettre l’idéation et enfin la présentation des concepts. Si l’on parle de projet opérationnel alors cette articulation devient bien plus complexe selon la nature de la chose à concevoir et/ou réaliser. Globalement il s’agit de donner une vision au projet, imaginer les fonctions permettant de la mettre en oeuvre et formaliser tout cela sous la forme la plus pertinente possible, pour l’ensemble des acteurs.

Évidemment, comme pour tout projet de design, la démarche itérative nécessite une relation continue et étroite entre vous et votre agence. Le duo “briefing initial” et “présentation finale” sera absolument toujours accompagné d’autres réunions ou points d’avancement informels.

Finalement, comment évaluer le design ?

Quoi qu’il arrive, c’est vous qui devrez vivre avec le projet. Ce n’est pas l’agence ou le freelance et il est très important qu’il, elle ou ils aient compris cela dès le début. Cela signifie que vous devez vraiment aimer ce que vous voyez à la fin du projet. Vous devez sentir que vous êtes capable de l’utiliser, le vendre et le défendre. Cela est souvent perçu comme étant irrationnel, profondément instinctif mais c’est aussi le travail du designer de vous convaincre. Nous sommes tout à fait conscients que le design est une discipline encore jeune et que les critères d’évaluation ne sont pas faciles à formaliser et appréhender.

Nous l’avons déjà dit mais le design s’intéresse avant tout à l’appropriation. En termes “business” on parlerait de la création d’un couple offre/demande pertinent. Cela signifie que le “bon design” se juge autant à l’aune de la collaboration, du travail interne de conception qu’à l’éventuel succès commercial. Evidement corrélation n’est pas causalité et le design n’est jamais seul responsable d’un succès ou d’un échec. Ainsi le premier élément d’évaluation, totalement qualitatif, serait la qualité de la collaboration : les acteurs du projet ont-ils réussi à travailler ensemble, sereinement et efficacement ? La démarche particulière du design oblige en effet souvent le designer à faire un travail de pédagogie et d’initiation à son approche. Tout comme il doit comprendre les enjeux de l’ingénieur, du marketeur… Ces derniers doivent aussi être prêts à l’écouter, même si nous savons que c’est, la plupart du temps, au petit nouveau de faire les efforts pour s’intégrer.

Le design n‘a pas vocation à ne produire que du “disruptif” ou des “game changers” à la chaîne. Son approche est souvent pertinente pour le faire mais les choses conçues par une équipe ayant bien intégré le design ne se contentent pas de bien fonctionner, elles créent de l’émotion chez la cible, elles sont si évidentes que l’engagement devient naturel. Au delà du “wow effect”, cette évidence appelle enfin un autre principe : la simplicité. Il s’agit en effet de satisfaire au mieux l’utilisateur en demandant un investissement minimal de sa part, qu’il soit financier, physique, social, intellectuel, etc.

Tout le monde peut avoir de bonnes idées, mais seule une réalisation parfaite de la bonne idée fera une vraie différence pour vos clients. L’attention portée aux détails est ici primordiale et nécessite d’y accorder un temps non négligeable en s’appuyant à la fois sur des expertises extrêmement pointues et sur une approche systémique. Ce que l’innovation par le design permet de faire. Pour voir à quoi cela ressemble concrètement, vous trouverez des études de cas et exemples de services particulièrement bien conçus sur designdeservices.org.